Gaël Cadiou

DR HOUSE

ET

LE PRINCIPE DE RÉALITÉ

 

Netflix rediffuse les épisodes de la série DR House et ne l’ayant vu que partiellement, j’en ai profité pour regarder l’intégralité. J’avais des souvenirs de certains cas médicaux mais surtout j’avais plus précisément envie de retrouver le personnage du docteur à l’esprit libre.

La série, comme un livre de chevet, nous accompagne un certain temps, même après avoir tout vu/lu. Outre le processus d’identification à une situation ou un personnage, il y a le rendez-vous librement choisi avec un épisode ou avec un chapitre. C’est en tous les cas un cheminement que j’ai toujours vécu avec bonheur. Se plonger dans un monde et comprendre chaque personnage et chaque situation.

Tout comme Serge Daney qui a ancré son histoire individuelle à une Histoire du cinéma, racontant l’Histoire commune grâce à l’analyse des films puis d’autres productions audiovisuelles et programmes TV, la série tv a été pour ma génération, tout comme la littérature, un moyen de se penser dans le monde, avec l’actualité. Un moyen de penser en soi, pour soi avec la communauté. Des interactions permanentes entre « je », « nous » et « on ».

Docteur House est un médecin atypique, énervant, épuisant et arrogant, volontairement méchant par moment, mais le plus brillant. Il prend les cas médicaux les plus complexes qu’aucun autre docteur n’oserait traiter. Ses collègues parlent de lui en toute conscience pour pousser les collaborateurs à faire des choix personnels et éthiques. La question cruciale récurrente est : suis-je prêt/te à accepter de mentir et enfreindre les règles pour continuer à travailler avec lui ? En d’autres termes, vais-je le supporter longtemps ?

Homme/catalyseur, il est révélateur de vérité grâce à des diagnostiques pointus, mais aussi révélateur pour son entourage professionnel. Chaque collaborateur va trouver réponse à ses questions existentielles car House est un miroir. Et comme tout miroir, il est désagréable, voir choquant d’entendre des vérités révélées crument et sans ménagement sur soi-même. Ses blagues, réflexions et plans pour provoquer des situations, ne sont en fin de compte qu’enseignement et transmission pour pousser l’autre à prendre conscience de quel médecin il/elle veut être et prendre position. Ses mots appuyés de son regard bleu fixé, sonnent comme la vérité toute crue.

Je dirais que cette série met en scène le principe de réalité pendant 167 épisodes :

En psychanalyse, le principe de réalité est régulateur du fonctionnement psychique (source : ergopsy.com)

(…) Dès qu’une personne entre en action, elle le fait dans le monde extérieur sur lequel elle va pouvoir impacter, en laissant plus ou moins des traces concrètes. L’action nous met en lien avec l’espace extérieur, la réalité, le monde qui nous entoure. De ce fait, lorsque nous entrons en action, nous sommes rapidement confrontés à nos capacités réelles, parfois fruits d’un dé-illusion cruelle quant à nos espérances ou parfois fruits porteurs d’agréables surprises, quand à nos capacités d’action sur ce qui nous entoure. Dans tous les cas, l’action va nous confronter aussi aux limites que nous impose la réalité extérieure.

Il est important de bien comprendre la différence entre la réalité extérieure, le monde qui nous entoure et le principe de réalité, l’un des régulateurs du fonctionnement psychique.

 La notion de principe de réalité, mise en évidence par la psychanalyse, est l’un des principes régulateurs du fonctionnement psychique. Ce principe permet de mettre un frein à l’exigence pulsionnelle et permet de différer la satisfaction pulsionnelle. Le principe de réalité forme un couple avec le principe de plaisir qu’il modifie. Ainsi si le principe de réalité parvient à s’imposer comme principe régulateur, la recherche de la satisfaction ne s’effectue plus par les voies les plus courtes de l’immédiateté ou du passage à l’acte. Le principe de réalité permet un renouvellement au plaisir immédiat, ce qui se révèle important pour ne pas se laisser submergé par des pulsions qui pourraient être, ensuite, à l’origine de conséquences péjoratives et de souffrances.

La recherche de la satisfaction peut alors emprunter des détours en fonction des conditions imposées par le monde extérieur. En effet respecter le principe de réalité consiste à prendre en compte les exigences du monde réel et les conséquences de ses actes. Le principe de réalité est la possibilité de s’extraire de l’hallucination, du rêve, dans lesquels triomphe le principe de plaisir et d’admettre l’existence d’une réalité, qui n’est pas toujours satisfaisante ou conforme à nos désirs. Le principe de réalité est donc un mécanisme d’adaptation de l’individu à l’environnement extérieur. (…)

Pour le cas de la médecine et des personnages de la série, chaque cas médical va bousculer croyances, exigences, éthiques et blessures narcissiques chez chacun et le docteur House est le seul personnage à garder ses collaborateurs les plus objectifs possibles pour l’exercice de la profession. Chaque épisode pousse les limites de ces difficultés et House est tout simplement vu comme un fou dans les décisions extrêmes et risquées qu’il prend mais qui finissent toujours par sauver une vie.

Pour le docteur, la réalité (le monde extérieur) est ennuyeuse et synonyme d’enfermement. La douleur à vie à la jambe, et les ruptures amoureuses sont des épreuves insurmontables, quant aux règles déontologiques et aux procédures administratives pour obtenir accord de la hiérarchie, un jeu où tricher est possible. House ne mesure pas les conséquences de ses actes sauf dans le cadre précis de la pratique de la médecine. Il maîtrise la prise de risque et démontre l’absurdité du protocole au travail parfois limité ou inapte selon la situation. Les règles sont faites pour être parfois contourner car chaque cas demande une invention et une improvisation parfois contradictoire. Seulement le monde médical, les relations humaines lui semblent trop étriquées pour pouvoir se sentir heureux et pleinement satisfait de sa vie.

A la fin de la série, chaque personne a fait un choix de vie grâce aux subterfuges rageants dont il/elle a fait l’objet. Le docteur est un emmerdeur, un bon emmerdeur car la finalité a été la bienveillance et l’accompagnement de chacun sur sa propre voie. Seulement, Grégory House reste seul. Il n’a qu’un seul ami. Wilson, mourant d’un cancer. Exercer la médecine ne suffit pas et son seul ami, dont il a besoin, n’a plus que 5 mois à vivre.

167 épisodes, 167 énigmes médicales et métaphysiques et 167 raisonnements d’une personnalité complexe inspiré de Sherlock Holmes. Outre les traits communs avec l’enquêteur héroïnomane du 221B Baker Street de Londres (dépendant à la vicodine, habite à Princeton au 221 Baker Street appartement B, et aime les énigmes comme le détective), ce qui est génial, c’est que grâce à la fiction, la peine psychique est mise en ellipse. Les personnes sont au travail, malgré le deuil, l’accompagnement à la mort, le divorce et la rupture, car la réalité du milieu professionnel à l’hôpital fait loi. Chacun fait face à des responsabilités pour préserver et sauver des vies malgré les drames personnels. Suivre ces épisodes fait poser la question de comment s’en sort-on et surmontons-nous tel ou tel drame ? L’une des réponses évidentes à l’écran est tout simplement en allant bosser. Et surtout, est-ce que je me connais bien ? Et quel est mon rapport à la douleur ? Chacun fera également son jugement sur ce qui est tolérable et non concevable des action et paroles du personnage. On se mesure à lui par rapport à la part de cynisme qu’il y a en nous. Jusqu’où acceptons-nous la vérité crue ?

Dans cet environnement lourd de responsabilités, le personnage génial du docteur intervient toujours par des blagues puériles pour aider l’entourage à retrouver légèreté et joie de vivre aussi mais inutile de chercher réconfort et complaisance auprès de lui. Seul le diagnostic compte et l’explication scientifique est souvent trouvée pendant une conversation anodine.

 

Lorsque le docteur entre dans la chambre après avoir fait toutes les recherches et les tests, on sait qu’il vient pour annoncer (ou plutôt balancer) la vérité médicale de la maladie et l’explication scientifique du phénomène qu’éprouve le patient. Quand il n’est pas traité d’idiot/e, celui/celle-ci est parfois placé devant le choix métaphysique de la vie et de la mort. L’un des jeux de regarder cette série est de se demander comment le personnage va annoncer la chose et quel subterfuge il va mettre en place pour l’une des personnes de son entourage qu’il a décidé de tourmenter. On assiste aussi à des consultations drôles pleines d’humanité et de connaissance dans le regard bleu de l’acteur. Le regard de Hugh Laurie vient en dire long sur la fascination et la curiosité illimitée pour l’être humain. Espièglerie et bienveillance, compréhension des limites et du cynisme du système social, goût pour les choix libres d’un patient, moquerie de l’éducation étouffante des parents et railleries insultantes jusqu’à enfoncer le thermomètre dans le séant d’un policier aimant l’abus d’autorité et de pouvoir. Rebel et rien d’autre. Qui ne rêve pas de se dédouaner d’une quelconque autorité en envoyant tout balader ? Ce que le docteur nous donne est la validation de nos défoulements impossibles en société et dans la réalité. Une liberté sans compromis, porte grande ouverte.

Le principe de réalité appliqué de façon inventive, atypique et anticonformiste suscitant admiration pour les prises de risque et la liberté d’actions et de paroles dont fait preuve le médecin pour les autres, fonctionne toutefois de façon catastrophique quand il s’agit de lui-même. Répondant à ses pulsions et à des revendications au plaisir immédiat, il perd contrôle souvent de sa propre condition. Il est toujours facile de trouver la bonne chose et la bonne parole pour les autres et toujours plus difficile d’agir en conséquence pour son bien-être. Le docteur encaisse des retours de la part de son équipe et de ses patients mais aussi de l’autorité et de la loi, de la douleur physique et morale, la peine affective et amoureuse. Est-ce que faire le bien à sa façon garantie son propre bonheur ? Est-ce que faire du bien aux autres me garantit un retour d’amour à la hauteur de ce que je donne, et surtout à la hauteur de mes attentes ?

House a beau être une personne difficile, il est aussi confronté à l’idéal masculin impossible à atteindre que sa partenaire et supérieure hiérarchique veut lui imposer et est souvent considéré comme le magicien capable de trouver la solution médicale que tout le monde attend. Seule une réelle amitié ramène l’homme à l’essentiel, une essence réelle et libre où il peut être lui-même. On peut également se réjouir de ce que l’on a.

167 épisodes d’interrogations, de regards et considérations complexes mais aussi de persévérance. Une série qui n’avait jamais été aussi proche de la complexité du monde. Je n’avais jamais fait autant d’aller-retours entre tolérable/intolérable, bienveillance/cynisme, douleur/humour et tragédie/comédie. La lourdeur du monde extérieure est malmenée et grâce au médecin il y a toujours une issue.

 

Gaël Cadiou

Paris le 03/10/2024

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