Quelque soit la fonction ou le rôle que chacun attribue à la littérature, faut-il qu’elle soit absolument sérieuse ? Et qu’entend-on exactement par « sérieuse » ? Dans quel genre littéraire le « sérieux » est-il légitime ? Dans quel domaine ? A quel niveau ?
On aura beau lire un maximum de livres pour se cultiver, quelles seraient les notions à prendre en compte pour définir le sérieux dans la littérature ?
Par exemple, le roman policier est un genre qui ne se prend pas au sérieux et pourtant une bonne intrigue, un récit bien construit doit être fait avec sérieux. À évacuer donc, la production non construite et sans sens logique de lecture ne permettant pas la compréhension. Un minimum de transmission et de communication sensées sont requises même pour la plus avant-gardiste et expérimentale des démarches intellectuelles. Voilà un premier sens au mot sérieux. Les écrits se doivent d’être, un minimum, compréhensibles pour le public selon les logiques de lectures communes à tous.
Accessible serait encore un autre exercice. Les écrits peuvent demander des références culturelles pointues pour en comprendre tous les sens et les sujets évoqués. Et j’ajouterais que plus les écrits sont complexes, plus ils sont riches et incitent le lecteur à la réflexion. Libre à celui ou celle d’y consacrer du temps et de l’intérêt.
Si on tape « le sérieux en littérature » sous google, le premier résultat qui apparaît est : « Le sérieux se veut objectif. Aussi se présente-t-il comme une figure de la transparence. Il est monologique, il n’exige pas de démarche interprétative. Quand un discours est sérieux, il faut le prendre à la lettre, comme le Code Civil : Rien à lire entre les lignes, rien qui doive s’entendre à mi-mot. »
Il s’agit donc de trouver toutes les différentes significations au mot « sérieux » avant d’affirmer si la littérature doit être sérieuse ou non.
D’ailleurs, pour être à contre-courant des tendances du moment où une prise de position est toujours exigée, plutôt que « oui » ou « non » je dirais « ça dépend ». Réponse qui permet de voyager comme on veut en explorant le sujet de la littérature et d’envisager un infini de possibilités et de cas de figures.
« Sérieux » présente donc des degrés différents d’intentions. Le Code Civil, texte de lois, est à prendre en tant que tel, sans faire de plis, au pied de la lettre. L’intention est de faire autorité pour l’application des règles en société et des limites à ne pas dépasser. La notion de « sérieux » pourrait donc avoir comme point de départ, les règles de bon vivre ensemble et les interdictions énoncées afin d’assurer une cohésion et la sécurité de chaque citoyen.
Tout comme le mode d’emploi d’utilisation d’un appareil, énonçant des étapes incontournables pour son bon fonctionnement, une ligne de conduite est à respecter en communauté. Le sérieux énonce ici des règles auxquelles on ne peut déroger. Aucune interprétation n’est possible.
Mais dans le cadre des genres en littérature, un autre élément viendrait s’ajouter qui est le mélange entre objectivité et subjectivité. La base étant le sérieux travail de l’auteur nous emmenant dans un récit structuré et donc aussi nous partageant sa part de subjectivité qu’il ou elle aime à transmettre : ses expériences et son histoire personnelle, ses souvenirs, ses préférences et goûts, son univers, ses angoisses et préoccupations, ses combats, ses connaissances etc…
Et là, de nouveau la question se pose mais autrement : Faut-il se prendre au sérieux ? Dans le sens de raisonner tout pour faire autorité ou bien laisser libre court à ses interprétations et laisser le lecteur entrer dans les méandres de ses pensées et de ses réflexions ? Jusqu’où l’autodérision et l’humour peuvent-ils prendre place ? Il y a-t-il encore de la place pour la légèreté ? Ou bien faut-il être « sage » et hyper raisonné de peur de ne pas être pris au sérieux par son lectorat ?
Le « sérieux » est-il devenu aujourd’hui l’ennemi de l’humour, du plaisir et de la liberté joyeuse de penser et s’exprimer ? Et surtout, la subjectivité peut-elle être prise au sérieux ? Ou bien faut-il toujours être objectif et renier sa subjectivité ou du moins ne pas y donner considération et importance ? Et être sérieux voudrait-il dire manquer d’humour et de légèreté ?
Le dictionnaire Le Robert donne ces définitions de la littérature :
1 Les œuvres écrites, dans la mesure où elles portent la marque de préoccupations esthétiques, connaissances, activités qui s’y rapportent.
1 Œuvres littéraires. La littérature française, allemande.
2 Le travail de l’écrivain
3 Ce qu’on trouve dans les œuvres littéraires et qui ne correspond pas à l’expérience au réel.
_ Au figuré. Ce qui est peu sincère, artificiel.
4 Ensemble des connaissances concernant les œuvres littéraires, leurs auteurs.
2 Ensemble des ouvrages publiés (sur une question).
Et en synonyme de littérature : lettres, belles-lettres (anciens).
La littérature serait donc un ensemble de livres, de productions de l’esprit cherchant une forme de beau, de correspondances avec un lecteur et emmenant l’imaginaire à se développer, se déployer chez ce dernier ou bien encore elle serait des écrits produits concernant un sujet précis. Elle est donc aussi matière à connaissances pour se cultiver, pour développer ses curiosités et intérêts pour des mondes aussi différents les uns des autres.
La seule notion que je laisserai de côté est la notion au figuré pour désigner la mise en doute de la sincérité de quelqu’un. A quoi bon suspecter l’intention d’un écrivain ou écrivaine ? La lecture serait d’abord une affaire d’espace privé et de relation au texte, pourquoi accabler l’auteur sur l’exercice difficile et solitaire de l’écriture ? Alors faut-il se prendre au sérieux à la lecture d’un livre, faut-il que l’écrivain se prenne au sérieux à l’écriture d’un ouvrage ? Quelle part fait-on à la subjectivité dans la littérature ? Quelle considération donne-t-on à sa subjectivité lors de la lecture ?
Et les genres littéraires ? Puisque « le sérieux » pourrait peut-être dépendre du genre, en consultant de nouveau google et en tapant « les genres littéraires », nous trouvons : le genre narratif, le genre poétique, théâtrale, argumentatif, épistolaire (correspondance par lettres).
Les genres en littérature seraient la retranscription d’intentions différentes et de libertés et tonalités diverses. Par exemple le roman noir va exprimer librement la mort, la violence et l’ironie de l’existence. Le roman d’horreur va orchestrer les angoisses, les peurs et les fantasmes de ce qui effraie et fascine. La littérature courtoise et romantique fait la part aux sentiments et relations amoureuses. Chaque contenu écrit possède un ensemble de sentiments humains et par sentiment, j’entends la colère, l’intolérable, la joie, le bonheur, la peur, les angoisses, etc…
Aux rayons des librairies généralistes, nous trouvons plutôt des « domaines » tels que : Science-Fiction, Fantastique, Policier puis littérature par nationalité, Littérature LGBTQIA+, Science Politique, Géopolitique, Histoire, Développement Personnel, Psychologie etc…
Il y a donc distinction entre genres et domaines. Le genre est la forme d’écriture choisie pour un livre tel que des correspondances par lettres (le genre épistolaire), comme le roman « Les Liaisons dangereuses » de Pierre Choderlos de Laclos, 1782, les dialogues pour retranscrire une conversation comme n’importe quelle pièce de théâtre ou bien un poème à lire ou réciter tel que La Séquence (ou Cantilène) de Sainte Eulalie, vers l’an 880 (premier poème de l’Histoire de la littérature française).
Le genre serait un choix pour s’exprimer, un mode de s’adresser au monde et de l’appréhender. Le domaine serait plutôt un sujet de prédilection, un espace de savoirs et de connaissances, un monde à part entière avec ses codes, ses mécanismes et ses spécificités dont l’auteur aurait les clés de compréhension à partager avec son lectorat.
Mais ces domaines, définissent-ils vraiment la personne qui écrit sur le sujet ? Faut-il être connaisseur à tout prix ou bien peut-on écrire afin de partager l’appréhension d’un sujet ou bien phénomène de société ? Peut-on être pris au sérieux ou bien perd-on toute crédibilité parce que nous avons osé nous exprimer sur un sujet qui n’est pas notre domaine de prédilection ? Doit-on se cantonner à ce que nous savons faire de mieux ou bien pouvons-nous appréhender et essayer quelque chose que nous ne maîtrisons pas ? Là encore, « ça dépend ». La limite est mince et différente selon les points de vue entre crédibilité et questions ouvertement posées pour donner à réflexion, verser au débat et susciter avancement de la pensée.
Ce qui est étonnant, c’est que nous tombons sur la même réponse que pour les genres littéraires quand nous tapons « domaines en littérature » sur Google. Comme si « genre » et « domaine » étaient confondus et ne présentaient aucune différence de sens.
Nous restons donc sur une question d’intention entre se prendre au sérieux, prendre au sérieux et être sérieux, trois postures différentes.
Entre « Se donner une importance démesurée, ne pas reconnaître ses propres faiblesses, ne pas savoir faire preuve de souplesse ou d’humour à propos de ce qu’on est ou de ce qu’on fait » (se prendre), « considérer une personne ou une chose comme importante ou méritant attention, dans un contexte où ce ne serait pas le premier mouvement » (prendre) et « qui attache de l’importance à ce qu’il dit ou fait, respecte ses engagements, agit conformément à ce qu’on attend de lui, avec attention, soin (être), il y a attitude et engagement du lecteur et de l’auteur pour la littérature.
La notion de « sérieux » interviendrait seulement dans le sens de la rigueur au travail d’écriture. La rigueur au travail est la qualité de faire les choses avec précision, de respecter les procédures et les échéances, de vérifier et de corriger les erreurs, et de se concentrer sur les détails importants pour atteindre des objectifs. Un écrivain sérieux travaillerait à la construction d’un livre, par l’écriture, et le respect d’une lecture est un lecteur qui travaillerait à la lecture assidue d’un livre dans le respect du travail d’écriture d’un auteur. La littérature, elle, serait donc un ensemble d’ouvrages, d’écrits faits sérieusement à lire sérieusement.
Cela voudrait dire que l’auteur, avec tout son sérieux et son talent, aurait fabriqué une carte de route pour que le lecteur puisse trouver le plaisir de s’orienter dans un monde créé et dans lequel il pourrait s’y perdre et revenir grâce à des repères dans le récit et toutes autres sortes d’orientations proposées afin que l’histoire puisse se déployer dans son esprit. D’ailleurs comment explique-t-on qu’en lisant le même livre, nous y remarquions d’autres éléments et comprenions l’histoire encore différemment après quelques mois, quelques années même d’écart d’avec la première lecture ? Un texte serait-il un accompagnement dans notre vie ? Le livre de chevet, serait-il donc un texte nous accompagnant une partie de notre vie ? « Chevet » veut-il dire, autre que livre de prédilection, livre de vie ? Cet accompagnement est-il à prendre au sérieux ? Sans aucun doute.
Alors on pourrait avancer que la littérature et l’écriture sont à prendre au sérieux mais elles ne doivent en aucun cas se prendre au sérieux. L’écriture resterait un espace libre sans auto-censure, une création ouverte où tout est permis afin de repousser les limites de la bienséance et apporter toujours des interrogations et des perceptions différentes, des humours divers et des combats des plus sérieux en lien avec la réalité avec la possibilité de les aborder franchement et sans complexe. Peu importe le domaine ou le genre d’écriture, ce qui compte est ce que nous en faisons, ce que nous apprenons et surtout comment nous nous sentons libres de penser et continuer à oser être heureux d’exprimer ce qui nous anime quelques soit le sentiment.
Gaël Cadiou