Gaël Cadiou

QUAND ça s’emmêle

ÉCRITURE,

Mémoires d’un métier, STEPHEN KING

                  En étant sur les réseaux sociaux et en suivant l’actualité intellectuelle, ce qui apparaît de plus en plus est que l’auteur.trice va partager son point de vue en rattachant des événements personnels de sa vie. Des éléments intimes personnels pour arriver à du commun, à un NOUS. L’anecdote devient le point de départ d’une réflexion sur les phénomènes de société et d’une pensée plus large afin d’arriver à une mise en commun, d’établir une relation constante entre l’Histoire des hommes et femmes et l’histoire individuelle. On n’a jamais autant écrit que pour arriver à se situer et à NOUS parler.

Cette démarche m’avait valu des critiques quand j’avais démarré une pratique en photographie et en vidéo et d’ailleurs je ne sais toujours pas répondre à la question de savoir ce que représentent mes images si ce n’est NOUS, les choses qui nous entourent et qui nous racontent. Mes textes, aussi, même si je les travaillais comme des fictions, je partais de faits personnels vécus m’en servant comme matière à écrire. Le fameux « JE est un autre » d’Arthur Rimbaud pourrait se traduire aujourd’hui par « JE NOUS » raconte/partage des réflexions et des histoires. L’exercice est d’arriver à sortir de la sphère de l’intime/personnelle pour en faire une sphère assez large accueillant d’autres positions s’enrichissants les unes les autres.

Pour ma part mon expérience de 11ans sous analyse m’a permis d’élargir et surtout de décomplexer ma pratique créatrice, de m’affranchir de mes limites et de réaliser qu’une vie humaine comportait bien plus de commun en intégrant le côté banal et le NON spectaculaire. Dédramatiser m’a permis de comprendre que ce côté « banal » n’avait rien de péjoratif mais était un terrain commun où le partage pouvait se faire. Finalement, je me suis rendu compte que j’avais beaucoup à donner contrairement à ce que j’essayais de me persuader. Le banal est devenu un trésor inépuisable.

L’écriture s’imposait de plus en plus pour faire exister une autre poésie à côté de mes images. J’avais besoin du texte, des images fixes et des images en mouvements cohabitant tous ensembles. Mon expérience de lectrice et de spectatrice en est le point de départ et me sert toujours autant de réservoir à inspiration et à imagination. Et dans mes premières inspirations, il y a Stephen King que je retrouve des années plus tard. Bien loin des premiers récits d’horreur que je dévorais pendant mon adolescence. Dans ÉCRITURE, mémoires d’un métier, l’auteur partage et transmet sa relation à et son expérience de l’écriture. J’ai refermé ce livre après lecture avec la satisfaction d’avoir validé des démarches et des pensées créatrices que j’avais aussi mis en place naturellement mais aussi avec la gratitude d’avoir lu un auteur qui s’est efforcé d’être le plus sincère et vrai avec lui-même, tout en assurant que son livre n’était pas un mode d’emploi magique sans défaillances. Il me paraissait logique que Stephen King en vienne à partager son travail de l’écriture et publie sur son métier étant donné le succès de ses livres. J’ai d’abord ouvert le livre pour découvrir comment il avait réussi dans un premier temps et je me suis retrouvée également en compagnie d’un écrivain dont l’écriture au style directe dans les fictions l’était tout autant dans les conseils.

Le livre est bâti sur une base d’expériences personnelles vécues et la relation étroite à l’écriture depuis l’enfance. Sans affabulation ni romantisme, S. King nous relate qu’il écrit depuis son enfance parce que ça a été d’abord un moyen de faire ses propres histoires à lui et d’écrire dans le journal de l’école. La suite on la connaît, il est devenu l’un des auteurs les plus populaires et les plus productifs et ses romans ont été adaptés en films grâce à un travail sans relâche.

CV,

UNE BOÎTE À OUTILS

ÉCRITURE

DE LA VIE POST-CRIPTUM

Sont les quatre grandes parties de ce livre transmettant par des conseils simples et ancrés dans son quotidien pour développer sa propre pratique de l’écriture.

Tout comme dans une conférence, et d’ailleurs le livre lui sert de base à la préparation d’interventions, nous voyons l’homme faisant sans arrêt des allers-retours entre sa vie quotidienne, son histoire personnelle, ses expériences professionnelles (allant jusqu’à publier ses manuscrits corrigés), son accident et l’urgence d’écrire pour résister et réussir sa convalescence, ses réflexions et choix intellectuels et littéraires et ses responsabilités en tant que mari, amant, homme et père de famille.

Générosité, où on peut piocher, faire le tri en toute liberté entre ce qui nous correspond, ce que nous ne voulons pas et ce qui serait bon à prendre en considération. Stephen King part toujours d’exemples précis de son vécu pour les articuler avec un conseil, une suggestion mais aussi énoncer des éléments incontournables avec lesquels nous devons composer comme la grammaire par exemple.

La fameuse boîte à outils : « (…) Ce que je veux suggérer par là est que si vous voulez écrire aux mieux de vos possibilités, il vous incombe de construire votre propre boîte à outils, puis de vous muscler suffisamment pour pouvoir la transporter. De cette façon, au lieu de vous retrouver devant des difficultés propres à vous décourager, vous pourrez peut-être disposer du bon outil et vous mettre sur-le-champ au travail. »

Cette boîte doit s’articuler en plusieurs étages dans lesquels seront utiles, le vocabulaire, la grammaire, les verbes en évitant la voie passive et les adverbes à utiliser très rarement et surtout oser parler de ce que l’on aime et ce que l’on connaît et s’exercer à un sens du rythme (« Y mêler ce que l’on sait de l’existence », dire la vérité sur ce qu’on connaît et ce qui nous plaît).

Écrire est difficile. Cela demande des heures de solitude, des heures de lutte devant ce qui nous semble comme de la production sans intérêts, des heures dans un bureau la porte fermée, à couper son téléphone et ne pas aller regarder la tv à la place :

 « (…) Et presque aussi important, j’ai compris que le fait d’arrêter la rédaction d’un texte simplement parce que c’est difficile, sur le plan affectif ou sur celui de l’imagination, est une mauvaise idée. If faut parfois continuer même quand on n’en a pas envie, et il arrive qu’on fasse du bon boulot alors qu’on a l’impression d’être là, à pelleter de la merde, le cul sur une chaise ».

Cela demande d’autres lectures, et d’écrire sans réserve avec des projets différents, cela demande de rester assis à une table quoi qu’il arrive. Le processus créatif demande discipline et choix de vie encore plus quand on décide d’en faire son métier. Écrire se cultive et c’est par nos lectures que nous pouvons faire les choix et les préférences littéraires, réfléchir sur les spécificités de la langue et construire son propre langage, se positionner par rapport à la littérature :

« (…) Et pourtant nous autres prolos, nous nous soucions de la langue que nous employons, même à notre humble échelle ; nous avons la passion de l’art et la manière de raconter des histoires par le biais de l’écrit. Ce qui suit est une tentative pour décrire, brièvement et simplement, comment j’en suis venu à ce métier, ce que j’en sais à présent et comment on l’exerce. Ça parle boutique ; ça parle langage. »

« (…) Il n’existe pas de Décharges à Idées, pas de Centre à Histoires, pas d’Ile des Best-sellers enterrés, les idées des bonnes histoires paraissent littéralement jaillir de nulle part, vous tomber dessus du haut d’un ciel vide : deux idées jusqu’ici sans rapport sont mises en contact et produisent quelque chose de nouveau sous le soleil. Votre boulot n’est pas de trouver ces idées, mais de les identifier lorsqu’elles font leur apparition ».

« (…) Quand on écrit une histoire, on se la raconte, reprit-il. Quand on se relit, le gros du travail consiste à enlever ce qui ne fait pas partie de l’histoire. »

La première règle que Stephen King met en évidence dès le prologue, est une référence à lire : « (…) Disons-le tout de suite : tout aspirant écrivain devrait lire The Element of Style. La règle 17 du chapitre « Principes de composition » est la suivante : « Enlever tout mot inutile ». C’est ce que je vais essayer de faire (…)

On pourrait passer en revue beaucoup de réflexions et remarques de l’auteur le long du livre. Pour ma part, l’ouvrage reste sur mon bureau, car chaque biffure est un passage éclairant sur le processus d’écriture et un encouragement enthousiaste et décomplexé à la création.

Je retiendrais surtout ceci : « Je me souviens d’un fabuleux sentiment de possibilité à cette idée, comme si l’on venait de m’introduire dans un vaste bâtiment rempli de portes fermées en m’autorisant à ouvrir n’importe laquelle. Il y avait plus de portes à pousser qu’on ne pouvait en franchir au cours de toute une vie. ».

L’expérience dans la culture américaine est une partie intégrante de l’œuvre et de la relation au public. Parler de soi et en tirer des réflexions sur le sens de la création, de son existence et les partager est la finalité. Le lectorat/audimat doit avoir le sentiment de repartir avec quelque chose.

Aujourd’hui, tout s’emmêle et c’est le bonheur.

Anecdotes, ressenti perso, savoirs et passions, centres d’intérêts et goûts, nous pouvons organiser sous toutes formes créatives, les articulations de tous les éléments qui constitueraient notre monde, ou plutôt notre univers à chacun, à condition d’y travailler sérieusement et d’y prendre le temps nécessaire pour créer les formes d’expressions les plus adéquats à notre façon d’être au monde. Le travail de l’honnêteté envers soi et pour soi, donnerait la possibilité de trouver la relation avec son publique et de pouvoir transmettre ce qui nous anime. Est-ce ça dire la « vérité » ?

Lire la saga « ÇA », « Carrie », « les Tommyknockers », « Shining »,« Charlie », « Christine », « la Peau sur les os », « Simetierre » quand j’avais 16ans m’avait permis de me mesurer à mes peurs et mes angoisses de l’époque et maintenant à 45ans en lisant « Après », « Billie Summers » et « Holly » de Stephen King ,ce sentiment de liberté et cette envie de créer est toujours autant en place. L’art n’a pas de classe sociale ni d’âge. Seul compte la personne assise à sa table, travaillant pour son lecteur.

Ça m’a valu une belle conversation avec le jeune caissier de la Fnac qui a adoré les romans et partageait le même enthousiasme que moi. Stephen King n’a pas d’âge.

Gaël Cadiou

Le 17/10/2024

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