D’EST EN OUEST, MOMENTS EN VRAC
J’ai fait des allers et retours pendant 10 ans entre la France et la Hongrie
Budapest, avenue Andrassy, Institut Goethe
Il neige, la lumière hivernale entre dans le café par les grandes fenêtres et je m’installe dans la salle principale. Je regarde les journaux et les magasines écrits en Allemand et cherche à comprendre ce qui est écrit, à repérer des mots et essayer de deviner leur sens.
Le carrelage en damier, les tables éloignées les unes des autres, le sentiments d’espace vaste. Je viens souvent travailler. Je commande un grand bol de café crème que l’on me sert avec une mousse de lait et le dessin d’une fleur fait avec la poudre de chocolat.
Le week-end, aux bains turcs, je commence par le sauna le moins chaud, pour finir avec le hammam et prends les douches froides à chaque changement de pièces. Labyrinthe et enfilades de bassins, odeur de souffre et toit coupole, les sons tournent et ondulent. Dehors, le bassin le plus chaud fait de la vapeur et les joueurs d’échecs continuent leurs paris.
Paris, janvier
Le long de la Seine, un tapis de neige fine, j’imprime mes foulées de jogging sur cette route vierge. La couleur de l’eau est terreuse. Je souffle et pense au journal de Virginia Woolf que je ne peux pas terminer, ne voulant pas lire l’arrêt brutal de son écriture et son suicide. Je décide d’en garder toute la lumière délicate et les descriptions fines des paysages de bord de mer qui m’accompagneront pendant la réalisation de ma vidéo « The Moody night ».
La même Avenue Andrassy, l’été
C’était un petit café, le propriétaire avait sorti un petit poste de télé, mis sur une table et suivait le match de foot avec des amis. Je rentrais m’installer au fond terminer ma lecture et commander un café crème. Les commentaires sportifs en Hongrois, la circulation et la lumière d’été se reflétant dans les feuilles des arbres, je faisais des photos pour moi, sans appareil, pour mon bonheur.
Bande son : Bruit du trolleybus et des tiges en fer circulant sur le réseau câblé, vue sur le Moulin Rouge hongrois, répétition des pianistes et chanteurs pour l’opérette de ce soir, je vais en face à la Maison de la Photo. C’est l’exposition de Vivian Maier, films et négatifs retrouvés, je reste devant son autoportrait en reflet dans la vitrine d’un magasin, envahie par la lumière capturée dans ses images.
Le Danube de nuit est couleur encre et les éclairages du Pont des Chaînes se dédoublent en reflets.
Au café à Saint-Germain-des-Prés, ma voisine de terrasse lit « L’enfer c’est les autres », la couverture masquant son visage. C’est le matin, Patti Smith passe. Le lendemain elle sortira de la messe et j’aurais lu « Just kids » pendant mon séjour à Berlin. Ville adorée dont ma grand-mère parlait souvent. Une partie de mes voyages a consisté à apprendre ce qu’est la guerre. L’expérience de déportée de ma grand –mère et sa description des bombardements avec la peur de mourir à la prochaine bombe, le train de nuit Budapest – Cracovie pour visiter Auschwitz où je me suis fait volée, un tour d’Allemagne pour être avec l’association d’anciens déportés et assister aux commémorations, leurs joies et bonne humeur avec la gravité de ce qu’ils décrivaient, puis la visite de Mostar en Bosnie juste après les combats : plus aucun magasin, le pont détruit et les avis de recherches affichés en grand nombre. Paysage de désolation, poussière et errance. La guerre est une question d’argent, peu importe les idées, la liberté de penser de vivre ou bien l’identité culturelle dont on est issu, c’est l’argent au détriment de la vie. Allez savoir pourquoi le titre « l’Enfer c’est les autres » me ramène à ces moments, l’angoisse d’un autre basculement brutal, d’autres coups à endurer.
Lesconil, été (Bretagne)
Face aux rochers, la mer continue son activité incessante. Quand elle se retire, la lumière apparaît en scintillements dans le sable. Les algues sont transportées en paquets, le vent se faufile dans le micro de ma caméra de poche. Horizon sans fin, imagination en marche, où s’arrête-t-on ? Qu’espère-t-on ? Le vent me rappelle le plaisir de m’emmitoufler et de rester dans le vent, sous la pluie. L’eau et ses innombrables changements et mouvements selon les climats, ses différentes couleurs et sa rapidité est une matière fantasmatique inépuisable. J’aimerais pouvoir faire des montages aussi variés que les changements dont la mer est capable avec cette même constance inépuisable.
Gaël Cadiou