Gaël Cadiou

FIGURES

 

 

Dans le couloir, elle joue de son pipa. Emmitouflée avec la capuche, elle joue le même air du matin au soir avec un sourire infaillible accompagnant le même son à corde et répondant toujours au bonjour de la même personne. Après quelques années, un soir, elle demande à cette personne de rester près d’elle et de l’attendre.

Elle part en courant aux toilettes réservés au personnel. La personne voit passer toutes les autres, la regardant, questionnant du regard sa présence et l’instrument laissé sur sa housse. Elle revient, toujours emmitouflée, comme un poussin, et la remercie. Quelques jours après, elle ne jouait plus dans le couloir; plus de tabouret, plus de pipa mais l’air chinois est resté en mémoire.

A la laverie, elle reprend son linge du séchoir et commence une conversation embarrassée de mauvais souvenirs. C’est une autre femme qui aurait empoisonné Christina. Le personnel espagnol que la famille avait embauché pour l’entretien de la maison n’était pas déclaré. Christina était morte et elle avait donné sa démission. Cette autre femme lui avait offert le thé le jour de son départ mais elle avait refusé, redoutant le poison caché et le labyrinthe de ses angoisses que lui inspirait la grande maison.

Elle était partie faire le ménage dans les bureaux du Canard enchainé et avait essayé de convaincre les journalistes d’enquêter et dénoncer l’autre femme. Elle en était encore convaincue aujourd’hui en ramassant son linge avec la panique d’être rattrapée par un passé fantasmé. Un séjour dans le Gers chez son frère lui fera du bien, elle en était persuadée.

Assise sur le banc à la station, elle laisse passer les métros. Elle est en avance et préfère arriver tranquillement à son rendez-vous. Il sort d’une voiture, s’assoit à côté d’elle et sort une tablette peu ordinaire. Il pointe des cases et rentre des données.

Elle : « A quoi sert votre tablette, si ce n’est pas indiscret ? »

Lui : « C’est un logiciel pour enregistrer la fréquentation sur chaque ligne. Des statistiques pour la société de transports. »

Elle : « Il y a beaucoup de monde sur cette ligne à cette heure ? »

Lui : « oui elle est très fréquentée… Bonne soirée ! »

Il rentre dans une voiture, elle prend le prochain métro.

Il s’était installé sur une chaise, c’était le printemps, son ancien uniforme de colonel lui donnait des airs d’un autre temps avec ses moustaches cirées. Le gramophone était posé à côté et diffusait un air classique.

Seul, au milieu de rien et au loin les arbres en fleur.

Le gardien criait la fermeture des jardins.

Le dimanche, elle appelait son petit ange de sa chambre. Ne pouvant plus marcher, depuis quelque temps, elle préférait éviter de sortir. Elle ouvrait un livre de Beckett. Elle s’arrêtait, choisissait une phrase et conversait sur le plaisir de trouver toutes les interprétations possibles selon les humeurs, les situations de vie et les souvenirs de sa vie au Liban pendant les recherches archéologiques qu’elle dirigeait. L’ange l’écoutait jusqu’à l’arrivée d’une autre personne, devait raccrocher et rappelait plus tard pour continuer la lecture.

Tous les dimanches, elles ont lu « En attendant Godot »

Gaël

TEXTE
WALKING LIKE GROUCHO