Gaël Cadiou

J’AI TOUJOURS HABITÉ À CÔTÉ D’UNE ÉCOLE

A l’école je m’arrangeais pour être ailleurs et imaginer des histoires en regardant par la fenêtre. Même à l’école d’art, j’esquivais les exercices ou bien je les transformais pour ne pas répondre à la demande et ne pas respecter la contrainte de travail. J’avais des fantasmes de film, et je voulais une profusion d’images et de paroles dans le désordre permettant des combinaisons à l’infinie.

Je fantasmais une prison imaginaire pour y organiser une évasion avec laquelle je pouvais m’exprimer spontanément. Le travail pensé et surtout l’image d’un travail en ordre, bien organisé avec des protocoles me donnaient envie du contraire. Je parlais d’autorité, de figures paternelles pour présenter mes images alors qu’elles représentaient toutes mes heures passées à lire ou regarder la télé.

L’apprentissage de la technique n’étant pas ce qui me fascine, je voulais m’en affranchir le plus vite possible pour faire mes propres représentations. J’ai appris la photo argentique noir et blanc, la photo couleur argentique, la sérigraphie, la photo numérique, la vidéo et le montage puis créé un blog et utilise en plus aujourd’hui la diffusion par les réseaux sociaux.

Mes photos en noir et blanc étaient très contrastées, comme des estampes japonaises, je trouvais que l’essentiel se révélait, pas besoin de plus de détails. Je les montrais dans des installations afin de proposer autre chose qu’une exposition de photos abordant un sujet. Mes images étaient parfois sombres, volontairement ratées, presque noires, laissant deviner le sujet. C’était jugé comme incompréhensible mais c’était justement celles-ci qui m’intéressaient. Je faisais des images avec des appareils en plastiques achetés aux puces de Budapest, la lentille était aussi en plastique et j’obtenais des floutés.  Je trouvais des appareils de fortunes pendant mes voyages et différents séjours et faisais les prises de vues sur place. Mes images montraient les incertitudes et les brouillages de la perception. Elles suggéraient. Avec la photo numérique je choisissais des définitions basses qualités. Pour les tirages en couleurs argentiques, j’ai choisi un papier photo ancien sachant qu’il y aurait des effets incontrôlés et aussi par faute de moyens financiers. Je fais toujours avec un budget limité pour me forcer à envisager les moyens les plus simples.

A vouloir absolument fuir mon école/prison, je me suis rendue compte que je n’arrivais pas à la quitter. C’est dans cette structure/cadre que je réussissais à construire mon propre point de vue, et ma propre pratique : en commençant par faire des fautes exprès, à expérimenter, à défaire, à bâcler pour refaire autrement.

Le report par la sérigraphie avec le travail préparatoire en photocopie m’a donné une très bonne étape vers le montage vidéo. J’ai fait beaucoup de prises de vues afin d’avoir un corpus d’images et je ne voulais pas de narration. Je fais souvent les mêmes représentations mais  j’y trouve toujours quelque chose de différent.

Mon premier travail/contrat après les Beaux-Arts a été assistante d’éducation en école primaire. J’ai mis en place des ateliers, des sorties au Musée des beaux Arts, installé une salle de projection dans l’école et tourné une vidéo pendant les cours. Il me fallait remettre en place une structure, peut-être parce que le schéma éducatif de ma famille était lié à l’école publique et la discipline militaire, j’avais un exemple de rigueur liée à des ordres reçus. Quoi de plus naturel pour moi que de me raser la tête à 16 ans, d’écouter du punk et me jurer que je ferais tout à ma manière sans me soucier de plaire et surtout en faisant exprès de choquer. J’aimais brouiller les conversations et les codes vestimentaires. Peu importe la façon de préparer les séances, j’avais réussi à aménager du temps d’expression créative pour les élèves.

Aujourd’hui, mon appartement étant situé à côté d’une école primaire, j’entends le bruit et les vibrations dans les murs quand tous les enfants sortent  de classe. Comme un tapage, une manifestation, un bruit généralisé avec des cris de joie. C’est encore un moment vibrant et c’est l’énergie dégagée qui me fascine. Dans une organisation bien établie, il y a toujours la liberté de s’exprimer. Je ne peux pas faire autrement, j’ai essayé de gommer ce côté dissipé et gauche et je me frustrais davantage  à essayer d’être sage. J’ai finalement décidé de l’exprimer un maximum et me suis rendue compte que j’étais très à l’aise avec la discipline et réalisé que les jugements sévères voir destructeurs que j’ai toujours détesté étaient des fantasmes que je m’imposais pour mieux me contrôler. Mes images sont spontanées, elles sont associées à des titres et pour mes vidéos le temps court est une volonté de montrer l’essentiel. L’écriture au contraire est toujours imaginée comme une voix off perpétuelle qui viendrait par moment accompagner le travail visuel. Imaginer ces éléments à des places bien orchestrées ne m’intéresse pas, je préfère traduire le désordre, les choses arrivant en même temps mais pas ensembles et provocant la gêne ou la surprise.

Il y a du sublime dans le désordre organisé.

Gaël Cadiou

TEXTE
WALKING LIKE GROUCHO